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    La Strada devrait marquer la jeunesse de n'importe quel spectateur doté d'un minimum de mouvements cardiaques. Impossible de rester de marbre devant cette petite histoire touchante comme tout, d'une poésie minuscule renversante. Le film, même vu par le solide adulte barraqué que je suis devenu, fait toujours son petit effet, et renvoie avec sensibilité aux émotions d'antan : on pleure, on rigole, on tremble pour la pauvre Gelsomina, un peu comme à un de ces jolis romans à la Dickens.

     

     

      

     

    Fellini file son histoire avec un immense talent de conteur, aidé par la sublime composition de Giulietta Masina et celle non-moindre d'Anthony Quinn. C'est vibrant de tendresse, de sentiments, de beauté dans les personnages.

     

     

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    Son couple de forains déglingué est incontestablement mythique dès les premières images : lui, bourru, aride, violent, cachant sa détresse de solitaire derrière ses minables numéros de cirque et ses énormes poings ; elle, lunaire, enfantine malgré son physique de femme mûre, grotesque et bouleversante d'amour.

     

     

    Il suffit parfois aux 3acteurs d'un seul geste (le petit "au revoir" de la main de Gelsomina) ou d'une simple posture du corps (la fatigue de Zampano sur la fin) pour bouleverser. Malgré sa dureté, on a envie que le monde ressemble au monde de La Strada, poétique, sentimental, plein d'artistes au grand coeur et d'énormes plats de pâtes. Fellini met ses délires baroques de côté, se contentant de filmer un univers clownesque d'une belle tristesse, cadrant la ruralité italienne avec beauté, mais avec une sobriété peu habituelle chez le gars (on est encore dans la période I Vittelloni / Il Bidone). Malgré ça, son film reste très personnel, grâce à cette poétisation de chaque personnage, de chaque geste, jamais réalistes et pourtant d'une totale vérité.

     

    On est sûrement assez loin du grand génie fellinien, et le film manque des inspirations fulgurantes de ses oeuvres plus ambitieuses.

     

    La Strada reste un peu à l'état justement de film pour enfants, un film pour enfants brillantissime, qui n'a pas à rougir devant ses modèles déclarés (Chaplin, Tati), mais tout de même un film pour enfants.

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    Les sentiments sont simples et directs, qualité sûrement, mais qui rend le tout un peu superficiel. Ceci dit, on en ressort quand même tout chose.

    Le mélodrame est parfaitement géré en regard de la comédie pure, et il y a là-dedans une foule de minuscules détails, de plans courts qui font mine de rien mais qui bouleversent (les petits rires solitaires de Gelsomina, quelques portraits de femmes rudes).

     

    Un bien beau film à montrer à vos enfants si vous avez envie de les voir pleurer, aimer la vie et rigoler.

     

     

    Gelsomina, une femme enfant naïve et généreuse, a été vendue par sa mère à un hercule de foire brutal et obtus, Zampano, qui accomplit un numéro de briseur de chaînes sur les places publiques.

     

     

      

    A bord d'un étrange équipage, une moto à trois roues aménagée en roulotte sans confort, le couple sillonne les routes d'Italie, menant la rude et triste vie des forains. Zampano ne cesse de rudoyer sa compagne et de la tromper sans vergogne. Elle éprouve cependant un certain attachement pour lui et s'efforce de lui plaire avec une touchante obstination.

     

     

    Surgit un autre saltimbanque, un violoniste-poète-philosophe-farceur : Il Matto ("Le Fou").

     

    Il agace à plaisir le pauvre Zampano et raconte à Gelsomina de très belles et très édifiantes histoires sous forme de paraboles. Exaspéré, Zampano finit un jour par le tuer.

     

    Le temps passe. Gelsomina, prostrée, ne peut se consoler de la mort du "Fou". Zampano l'abandonne sur la route.

     

    Des années plus tard, il apprend qu'elle est morte.

     

     

     

     

    Alors, pour la première fois de sa vie, il pleure.

    La Strada possède toutes les caractéristiques du mélodrame (musique, effets, personnages pathétiques ou monstrueux), mais il est bien plus qu'un simple mélodrame.

     

     

     

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    de RADIONOMY le fond musical

     

    sera supprimé

     

     

    Le personnage de Gelsominela, par le regard qu'il jette sur la vie, est porteur d'une telle force d'amour, d'une telle capacité à transformer une existence médiocre en apothéose qu'on se dit que derrière toute vie, même absurde, pourrait bien se cacher un sens, un absolu. Ce film, profondément spiritualiste, appartient pleinement au néoréalisme, mais il résonne déjà de cette musique inimitable, celle d'un cirque infiniment nostalgique qui deviendra, avec "La Dolce Vita", le leitmotiv de l'un des plus grands créateurs d'univers du monde

      


     

      

    Un sacrifice (la mort de Gelsomina), un meurtre (celui du Fou) qui suit une profanation (le vol au couvent), une rédemption (celle de Zampano au dernier plan), La Strada semble un chemin de croix pavé de significations religieuses. A chacune de ces " stations " emblématiques, Fellini donne cependant une dimension qui déjoue la fable chrétienne dogmatique et lourde de sens.

     

     

     

    Ainsi, la mort de Gelsomina n'est pas montrée et disparaît dans une ellipse du récit. La scène où Zampano apprend cette mort en renforce le caractère fantomatique : une jeune femme raconte ce que furent les derniers jours de Gelsomina, en suspendant des draps qui deviennent à la fois comme des écrans sur lesquels Zampano peut projeter les images de ce qui lui est révélé, et comme un labyrinthe où la vérité se perd. Cette scène dont la logique est affaire de regard, est purement cinématographique.

     

     

    Le vol au couvent, dramatisé par les effets visuels et sonores qui suggèrent l'orage, devient de même une scène spectaculaire, à la frontière du cinéma d'effroi.

    Quant à la mort du Fou, elle est marquée par un sentiment de fatalité non pas spiritualiste, mais matérialiste : le Fou comprend que l'heure de sa mort est arrivée en voyant que sa montre a été cassée dans sa lutte avec Zampano.

     

     

     

     

    Enfin, Fellini montre d'abord l'errance finale de Zampano comme celle d'un ivrogne désespéré, et la mer a dans cette scène une valeur sentimentale et romanesque avant tout (elle évoque Gelsomina, qui l'aimait).

     

    C'est donc au plus près de ses personnages que se tient Fellini, au cœur d'une condition humaine dont ils ne peuvent nommer ce qui la transcende : Fellini n'exclut pas que ce soit l'amour chrétien, mais, ce qui est presque révolutionnaire dans l'Italie de 1955, il filme la rudesse, la maladresse et la vérité de l'amour tout court. Ce qui fait de La Strada un film plus humaniste que chrétien.


     

    La Strada est une œuvre qui suppose de la part de son auteur, en plus du génie d'expression, une parfaite connaissance de certains problèmes spirituels et une réflexion sur eux. Ce film traite en effet du sacré, je ne dis pas du religieux ni de la religion. Je parle de ce besoin primitif et spécifique à l'homme qui nous pousse au dépassement, à l'activité métaphysique, tant sous la forme religieuse que maintenant sous la forme artistique, besoin aussi fondamental que celui de durer. Il semble que Federico Fellini sache parfaitement que cet instinct est à la source des religions comme de l'art. Il nous le montre à l'état pur dans Gelsomina.

    Fellini et ses trois interprètes réussissent à nous décrire tant charnellement que mentalement et par le moyen de l'image, l'histoire servant à un tout autre but, des personnages mythiques et vrais. Ces trois héros vivent d'une vie esthétique parfaite. Ils nous arrachent cette émotion grâce à laquelle un personnage de lumière ou de papier prend pour une seconde une fulgurante réalité et demeure en nous.

     

     

    Les séquences célèbres sont inoubliables: Gelsomina vendue par sa mère; les trajets sur les routes sur un lamentable triporteur roulotte ; la noce champêtre et la visite d'un enfant malade et reclus ; la rencontre de Gelsomina avec l'équilibriste, puis avec une religieuse dans un couvent; la bataille de Zampano avec Il Matto qui regarde sa montre brisée et tombe mort ; Zampano qui apprend la mort de Gelsomina, regarde le ciel et pleure sur la plage.

    Film vivement attaqué par la critique de gauche, en Italie, pour avoir perverti et trahit le néoréalisme. Il n'est pas douteux qu'Il matto (Le fou), sorte d'archange volant sur une corde raide, développe une parabole chrétienne, quand il explique à Gelsomina:

     

     

     

    "si je savais à quoi sert ce caillou, je serai le bon Dieu qui sait tout : quand tu nais ; quand tu meurs aussi. Ce caillou sert sûrement à quelque chose. S'il est inutile tout le reste est inutile, même les étoiles.

     

    Et toi aussi, tu sers à quelque chose avec ta tête d'artichaut". Mais ce thème est loin d'être le principal dans un film complexe, et avec le recul cette critique de la gauche italienne était bien injuste. Le film était d'abord une critique de la condition féminine, de la femme objet aussi passive qu'un caillou, tout juste créée pour faire l'amour et la cuisine.(Famille de Gelsomina dont le père est parti, obligeant la mère à vendre ses filles).

     

     

    Enfin on peut affirmer que La Strada est un film de personnages, mis en scène avec la sensibilité d'un portraitiste : Gelsomina, Zampano et le Fou accèdent, par leur expressivité, au rang de symboles. Leur simple confrontation fait naître une tension dramatique et tient lieu de scénario dans ce film dont la narration suit librement la route (la " strada "), à la manière d'un road-movie.

    Gelsomina est la sensibilité incarnée. Une sensibilité qui ne semble avoir aucune limite : pour les êtres humains, bons (le Fou, la jeune religieuse) ou mauvais (Zampano), pour les animaux (les insectes qui l'émerveillent au bord du chemin), pour les paysages (la mer) et pour l'art (la musique, les numéros de cirque). Cette sensibilité qui l'ouvre au monde, l'expose aussi, sans défense, à ses tourments.


     

    Le Fou est un personnage angélique, aérien, cet équilibriste reconnaît en Gelsomina (que les autres croient folle) une âme sœur. Plus maître qu'elle du langage et de la pensée, il est conscient d'être exposé à la mort, qui le prendra pourtant par surprise : le Fou restera ainsi l'image de l'innocence.

    Zampano est d'une lourdeur bestiale, et coupable de meurtre (opposé au Fou), Zampano est défini négativement. Mais c'est sur lui que Fellini fait reposer le principal enjeu de La Strada : le triomphe final de la bonté, le retour à la sensibilité, peut-être à l'innocence.

     

     

     

     

     

     

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    L'histoire

     

    Un jeune mendiant aveugle, qui faisait la manche en compagnie de son petit chien sur un étal du marché de Bagdad, est emmené au palais par une femme mystérieuse sur l'ordre du potentat local, l'ignoble Jaffar. Entouré de jeunes femmes curieuses, le jeune homme raconte son histoire.

     

      Le Voleur de Bagdad : photo Conrad Veidt, June Duprez, Ludwig Berger, Michael Powell, Tim Whelan

     

    On apprend alors qu'il fut autrefois le roi Ahmad de Bagdad et qu'il tomba dans le piège de son vizir - Jaffar - qui complota pour le tuer et prendre sa place. Après qu'il eut réussi à s'évader de sa geôle grâce au tout jeune et espiègle Abu, un petit voleur des rues qui vit de ses multiples larcins, et eut quitté la ville, Ahmad fit la connaissance de la fille du sultan, une beauté esseulée dans son palais de Bassora dont aucun homme est autorisé à croiser le regard.

     

     

    Mais il se retrouva à nouveau face à Jaffar, dont le vil dessein est d'épouser la belle contre son gré, et fut victime des sortilèges de ce dernier : ainsi, le garçon perdit la vue et Abu fut métamorphosé en chien. Mais l'histoire est loin d'être terminée, car l'hôte de Ahmad a temporairement besoin de lui pour réveiller la princesse tombée par dépit dans un sommeil profond. L'occasion sera tentante pour le jeune roi déchu, aidé de son fidèle compagnon Abu, de se battre pour récupérer son trône, pacifier son royaume et trouver enfin l'amour.

     

    Analyse et critique

     

     

    Célèbre superproduction britannique des années 40, Le Voleur de Bagdad reste célèbre pour constituer l'une des meilleures et rares adaptations des fameux contes des Mille et une nuits, qui ambitionnait alors d'être un spectacle excitant et chatoyant avec la volonté de régaler tous les publics par sa poésie naïve et ses effets spéciaux novateurs (pour l'époque).

     

     

     

    A la tête de ce film d'aventures exotiques, on trouve le producteur anglais d'origine hongroise Alexandre Korda, sorte de Selznick londonien dont l'importance au sein de l'industrie du cinéma anglais fut considérable des années 30 jusqu'au début des années 50.

     

    Le Voleur de Bagdad : photo Ludwig Berger

     

     

    Sur Le Voleur de Bagdad, Korda fit travailler pas moins de six réalisateurs (dont lui-même), mais son frère Zoltan et le grand directeur artistique William Cameron Menzies ne furent crédités que comme producteurs associés. Officiellement le film est donc signé de l'Allemand Ludwig Berger, de l'Américain Tim Whelan et de... Michael Powell.

     

     

     

    Ce dernier fut engagé suite à la forte déception du producteur démiurge devant les scènes tournées par Ludwig Berger, qui fut si maltraité par Korda qu'il claqua la porte du studio. Les frères Korda retournèrent pour partie les scènes de Berger et Powell fut chargé de nombreuses scènes d'action (comme l'apparition du génie joué par Rex Ingram).

     

     

     

     

    Le tournage en lui-même fut bouleversé par l'irruption de la guerre et le film dût s'achever en Californie. Tout cela bien considéré, le résultat ne manque finalement pas d'harmonie, et il serait bien présomptueux pour le spectateur de s'amuser à déterminer les styles des uns et des autres.

     

     

    Le Voleur de Bagdad : affiche

     

     

    D'ailleurs, ce n'est pas sur le terrain de la mise en scène pure qu'il faudra aller chercher une quelconque originalité dans ce spectacle. Le Voleur de Bagdad demeure avant tout un film de producteur, dont le vrai talent fut de s'entourer d'hommes compétents à leur poste et de faire la part belle aux départements artistiques (avec trois Oscars à la clé en 1941) comme les décors somptueux, la photographie en Technicolor, les innombrables costumes et les effets spéciaux.

     

    Le Voleur de Bagdad : photo Ludwig Berger, Sabu (II)

     

    Il en ressort une fantaisie délicieuse - même si passablement surannée - avec tout ce qu'il faut comme péripéties fantastiques pour nourrir un imaginaire typique de ces contes orientaux : un royaume dirigé par des despotes, une jolie romance contrariée, de la magie, des créatures légendaires, un danger permanent, le poids du destin, de l'action et de l'humour bon enfant. Le casting du film compte en tête l'élégant et inquiétant Conrad Veidt (Le Juif Süss de 1934, L'Espion noir et Espionne à bord de Powell & Pressburger, Echec à la Gestapo avec Humphrey Bogart, Casablanca de Michael Curtiz) et le virevoltant acteur indien Sabu, alors âgé de 15 ans, le héros de Elephant Boy, d'Alerte aux Indes et du Livre de la jungle, tous trois réalisés par Zoltan Korda.

     

      Le Voleur de Bagdad : photo Ludwig Berger, Rex Ingram, Sabu (II)

     

     

    Sabu sera également de l'aventure du somptueux Narcisse noir de Michael Powell et Emeric Pressburger.

     

     

     

     

    Aujourd'hui, si Le Voleur de Bagdad accuse bien son âge par ses effets spéciaux d'un autre temps - et qui peinent surtout à conserver leur capacité de séduction sur la totalité du film -, par le statisme de sa réalisation malgré quelques rares séquences dynamiques et par un jeu d'acteur assez inégal selon les interprètes, il faut reconnaître que son charme naïf, sa pincée d'exotisme, son innocence assumée, son onirisme enfantin et sa volonté constante de flatter les rétines en font toujours une œuvre éminemment sympathique, ainsi qu'une curiosité du fait de sa rareté au sein d'un cinéma anglais habituellement peu versé dans la fantaisie débridée.

     

     

    Le Voleur de Bagdad : photo John Justin, June Duprez, Ludwig Berger, Sabu (II)

     

     

    http://www.dvdclassik.com/critique/le-voleur-de-bagdad-powell-berger-whelan

     

     

    Michael Powell

     

     

     

     

     

     

     

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    L'histoire

     

    Un jeune couple effectue son voyage de noces dans le site somptueux des chutes du Niagara. Dès leur arrivée, les jeunes mariés font la connaissance d’un couple mystérieux : un homme visiblement très tourmenté et son épouse à la beauté sublime et provocante. Celle-ci prépare secrètement un plan machiavélique pour se débarrasser de son mari.

     

    Analyse et critique

     

      

      

    Niagara est un film cher pour nombre de cinéphiles. L’œuvre doit son importance dans l’histoire du cinéma hollywoodien aussi bien à la mise en scène méticuleuse du réalisateur Henry Hathaway qu’à l’avènement de la légende cinématographique qu’incarne toujours aujourd’hui Marilyn Monroe. Il est donc aisé d’aborder Niagara sous ces deux aspects.

    En ce début 1953, Marilyn ne rayonne pas encore au sommet de l’Olympe hollywoodien. Ses rôles précédents, de premier ou de second plan, ont progressivement permis à la comédienne de se faire remarquer, puis de titiller l’imagination des spectateurs grâce à une plastique de rêve, une apparente ingénuité et une charge érotique plus ou moins discrète.

     

     

     

      

    Dans Niagara, même si Marilyn Monroe est bien moins présente à l’écran qu’on pourrait le penser, on ne voit qu’elle (on ne révélera rien ici qui pourrait gâcher le plaisir du lecteur). Même hors champ, son existence conditionne celle de tous les autres protagonistes. Associée aux chutes du Niagara, son personnage est le centre d’intérêt pour tout ce qui concerne l’action et les passions contenues (ou non) du film.
     

      

    La métaphore avec le paysage est évidemment explicite et même avouée ( la bande annonce affirme clairement : "A raging torrent of emotion that even nature can’t control"). Aucun autre décor ne pouvait être aussi propice au déchaînement des passions, et à la sexualité agressive affichée par l’actrice, que le torrent puissant et continu des chutes du Niagara.
     

      

    La première apparition de Marilyn donne le ton. Elle fait suite à la scène qui voit Joseph Cotten écrasé à l’image par les plans larges des cascades. Au petit matin, à l’intérieur de son bungalow, Marilyn est nue sous les draps de son lit, une cigarette à la bouche. Son rouge à lèvres, d’un rouge incandescent, attire le regard du spectateur. L’érotisme qu’elle véhicule, si audacieux pour son époque (et qui ne s’affadit pas avec le temps) est présent tout le long du film. Au delà de ses poses lascives, on la voit embrasser goulûment son amant sous les cascades, se doucher derrière un rideau qui laisse deviner ses formes pulpeuses, porter une robe rose vif avant d’entonner une chanson qui est un vrai appel à l’amour et au sexe.

     

     

     

      

    Dans un univers gentillet et propre sur lui, un paysage idyllique rempli de touristes en voyage de noces, Rose Loomis, le personnage incarné par Marilyn, détone. Elle est mariée à un homme mûr au comportement erratique, victime de problèmes psychologiques intenses. Mais rien ne nous n’empêche d’imaginer qu’elle est la cause de ces troubles. Car Rose incarne l’enthousiasme fou de sa jeunesse, la chaleur, la fièvre amoureuse, l’appétit sexuel, la recherche de liberté. Et elle ne s’embarrasse pas de considérations morales pour arriver à ses fins. Son personnage est donc celui qu’on nomme habituellement une femme fatale, vecteur de mort et de destruction.

      

      

    Mais il n’est pas interdit de penser que Charles Brackett, le scénariste producteur, et Henry Hathaway firent une légère satire des mœurs trop sages et consensuelles de leur époque. On pensera au couple Kettering, suffisamment caricatural et enfermé dans leur petit confort, pour s’en laisser convaincre.
     

      

    Néanmoins, il apparaîtra évident que la véritable héroïne (au premier degré) du film restera le personnage interprété par Jean Peters, ménagère exemplaire et obéissante, jolie mais non sensuelle. Il faudra donc encore attendre quelques années pour que Hollywood ne réserve pas les rôles de femmes intelligentes et libérées à des personnages féminins ouvertement intrigants, fourbes et cruels.

     

     

     

      

    Marilyn femme fatale assurément, mais Niagara est-il un film noir traditionnel ?
     

      

    La caractéristique visuelle la plus évidente de Niagara est l’utilisation de la couleur, fait plutôt rare dans ce genre de film à l’époque. Cependant, même si certains éléments narratifs représentatifs du film noir sont bien présents, la mise en scène prend une direction différente, moins ouvertement symbolique, plus souvent documentaire et réaliste. Plus proche, dirons-nous, de Appelez Nord 777 que du Carrefour de la mort, deux autres œuvres majeures du réalisateur. Dans Niagara, on pourrait dire que l’utilisation du Technicolor flamboyant, grâce ses couleurs saturées et évocatrices (la garde-robe et le maquillage de Marilyn sont, à ce titre, révélateurs), joue un rôle équivalent à la lumière dans le film noir classique et expressionniste.

     

     

     

      

    La réussite artistique du film se situe aussi à ce niveau : l’originalité du traitement visuel apporté par Hathaway à un sujet propre au film d’atmosphère, si bien représenté à cette époque de l’âge d’or hollywoodien. Niagara reste plutôt un thriller aux accents de film noir, servi par une réalisation faisant la part belle à une certaine rigueur documentaire, marque de fabrique de Henry Hathaway dans les années 40 et 50.
     

      

    Le cinéaste opte souvent pour une approche documentée de l’univers à dépeindre. On peut remarquer le soin qu’il apporte à décrire le paysage des chutes du Niagara, ainsi que la petite ville où se situe l’action. Grâce à des plans larges, on déambule en plein jour dans les rues, on suit le parcours touristique en observant les différents corps de métier. On suit également, avec la même méticulosité, les allées et venues des protagonistes prisonniers de leurs destins. Hathaway prend son temps et inscrit parfaitement son intrigue dans un cadre qui amène le spectateur à parfaitement comprendre la géographie des lieux et des personnages.

     

     

     

      

      

    Même la séquence d’action finale, qui prend place – comme on pouvait s’y attendre – au milieu du torrent, est caractéristique de ce traitement naturaliste, fait de précision, d’efficacité et de simplicité (on pourra la comparer avec la scène finale des Nerfs à vif (1962) de Jack Lee-Thompson et son visuel hérité de l’expressionnisme symbolique).
     

      

      

    L’approche réaliste n’empêche évidemment pas quelques fulgurances visuelles plus osées, comme la scène du meurtre à l’intérieur du clocher et l’utilisation que fait le réalisateur du grand angle et des ombres portées pour donner un aspect plus violent, tragique et lourd de sens à l’action filmée.

     

     

      

      

    Malgré quelques longueurs et certains raccourcis de scénario un peu faciles dans sa conclusion, Niagara reste un œuvre majeure dans la carrière de Hathaway. Un film qui lui permet de faire preuve d’originalité au sein d’un thriller plutôt classique dans son écriture, en prenant ainsi quelques distances par rapport à Hitchcock et à Welles.

    Niagara demeure, aussi et surtout, le film qui montre la première étape d’une métamorphose d’une actrice au fort potentiel (dramatique dans le cas qui nous occupe) en une icône chargée d’érotisme, avant que Billy Wilder, dans Sept ans de réflexion, deux ans plus tard, ne la transforme en mythe éternel.

     

     

    http://www.dvdclassik.com/critique/niagara-hathaway

     

     

     

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    L'histoire

     

    La blonde Lorelei et la brune Dorothy sont deux artistes de cabaret à la beauté envoûtante. La première, matérialiste, est fascinée par l’argent et les millionnaires alors que la seconde cache un tempérament plus sage derrière une attirance pour les beaux mâles. Lorelei a jeté son dévolu sur un jeune héritier légèrement niais qu’elle doit épouser à Paris. Lors de leur traversée de l’Atlantique, la rencontre d’un vieux barbon richissime en diamants et d’un détective chargé de piéger la jeune fiancée vont faire vivre aux deux belles femmes des aventures cocasses et colorées.

     

    Analyse et critique

     

      

      

      

    Diamonds Are a Girl’s Best Friend, We’re Just Two Little Girls from Little Rock, Bye Bye Baby... quel cinéphile n’a pas en tête ces trois fameux standards de la comédie musicale, devenus des classiques de la culture musicale populaire du XXème siècle ? Si Les Hommes préfèrent les blondes ne compte pas parmi les comédies musicales comportant de nombreux tableaux dansants, l’œuvre reste toutefois rattachée à ce genre typiquement américain par ses chansons légendaires (la musique occupe tout de même plus d’un tiers du film), ainsi que par sa fraîcheur et sa légèreté de ton.

      

      

    C’est la première fois que l’immense réalisateur Howard Hawks aborde la comédie musicale. Ce fut aussi la dernière car, bien que mélomane, le cinéaste avoua ne pas être à son aise dans le genre. Il laissera ainsi la Fox confier la mise en scène des numéros chantants et dansants au célèbre chorégraphe Jack Cole, qui imagina d’ailleurs une chorégraphie de la séquence des diamants jugée trop osée par le Studio (le spectateur ne perd toutefois rien au change car la scène, dans sa forme définitive, reste d’un allant, d’une grâce et d’une beauté affriolantes). Hawks ne mit jamais les pieds sur le plateau où se réglaient les chorégraphies.

      

      

      

      

    La réussite de ces scènes viendra alors de l’apport conjugué de Jack Cole, du chef opérateur et du monteur du film. La légende qui veut que Howard Hawks ait touché à tous les genres reste ainsi intacte, même si Les Hommes préfèrent les blondes demeurera le film le moins personnel du réalisateur. Ce qui n’empêchera évidemment pas Hawks d’ajouter son grain de sel à l’histoire, aux scènes principales et évidemment à la direction d’acteurs.

     

     

      

      

    Comme la majorité des comédies musicales, Les Hommes préfèrent les blondes est l’adaptation d’un succès de Broadway. Le spectacle qui devait donner lieu au film était l’un des plus grands triomphes de la scène à New York depuis quatre ans. Daryl Zanuck et Howard Hawks choisirent Marilyn Monroe pour tenir le rôle de la blonde arriviste. Comme celle-ci n’était pas encore une vedette confirmée, Zanuck insista pour obtenir la déjà grande star Jane Russel, par ailleurs sous contrat avec le milliardaire démiurge Howard Hughes.

      

      Gif animé Marylin Monroe

      

      

    Celui-ci exigera de la Fox d’engager également l’entourage de Russel ainsi que le chef opérateur Harry Wild qui composera une photographie sublime en honorant le film d’un Technicolor éclatant, donnant un cachet presque irréel et onirique à une œuvre qui s’y prêtait parfaitement. Les deux comédiennes s’entendront à ravir sur le tournage et cette collaboration joyeuse illumine chaque plan du film. En outre, Jane Russel servira d'intermédiaire à Howard Hawks vis-à-vis de Marilyn Monroe qui, parallèlement à une grande carrière d’actrice, entame également une carrière de diva capricieuse, caractérielle et malheureusement névrosée et peu sûre d’elle-même.

      

      

      



    Sous l’impulsion de Howard Hawks et de la Fox, le scénariste Charles Lederer réécrit complètement l’histoire en ne gardant que les thèmes principaux ainsi que les deux personnages féminins d’origine, et en donnant à chacune d’entre elles un rôle équivalent. Hawks, surtout, va transformer une comédie légère et brillante en une satire des mœurs moderne, exercice dans lequel il excelle. La réalisation d’ailleurs n’hésite pas à user de quelques procédés burlesques, comme l’utilisation de bruitages fantaisistes ou la surimpression d’un gros diamant étincelant sur la tête de Charles Coburn pour appuyer jusqu’à la caricature l’avidité du personnage de Lorelei jouée par Marilyn Monroe.

     

     

      

      

    Derrière la fantaisie et l’allégresse, il y a dans Les Homme préfèrent les blondes un véritable discours subversif sur le sexe et le pouvoir, ainsi qu’une misogynie latente appliquée gaiement, et non sans un certain sens de la formule. On retiendra par exemple le personnage du garçonnet héritier qui, par deux fois, lance des répliques piquantes et assassines quant à la condition féminine et au "magnétisme animal" de Marilyn, et cela avec l’aplomb d’un gentleman expérimenté sur la question. On ne peut s’empêcher alors d’entendre ici la voix d’un Hawks caustique comme à son habitude. On fait souvent référence au puritanisme qui imprègne profondément la société américaine et en particulier son cinéma.

      

     

     

     

      

    Il est bon de rappeler qu’il s’est trouvé des artistes au sein même de Hollywood pour contourner cette contrainte et se faire les commentateurs ironiques et avisés des mœurs contemporaines dans des comédies faussement ingénues. Si Ernst Lubitsch et surtout Billy Wilder sont les principaux représentants de cette école joyeusement satirique, Hawks figure aussi en bonne place.

     

     

     

      

    L’histoire des Hommes préfèrent les blondes met en présence une blonde éthérée, arriviste et sournoise, et une brune sentimentale au caractère bien trempé. L’une arborant une garde-robe rouge vif incandescent et donc le sexe en étendard, et l’autre cachant son mystère derrière un noir des plus exquis et langoureux. En quelque sorte deux facettes d’un éternel féminin se retrouvent incarnées en Monroe et Russel. Surtout que les deux personnages s’entendent parfaitement, agissent en complémentarité et resteront solidaires dans leurs aventures.

      

      

     

     

     

    La satire atteint son apogée lors de la scène du procès, au passage complètement grand-guignolesque et totalement irréaliste, lorsque Jane Russel doit imiter Marilyn Monroe (l’histoire l’amène à prendre l’identité de son amie pour cette séquence). Forte d’une performance éclatante, Russel parvient avec jubilation à retranscrire les mimiques appuyées de Marilyn et l’attitude tentatrice, superficielle et fausse du personnage.

     

     

     

      

    Cette vision semble certes un peu extrême, mais l’angle satirique adopté allié au rythme classique de ce type de réalisation contribuent idéalement à faire passer le message. Par ailleurs, les personnages masculins ne sont pas mieux lotis. Du benêt richissime au vieux pervers, en passant par le beau garçon manipulateur, leur traitement n’est pas moins burlesque et ironique. Le thème des fausses apparences est donc traité sur le même tempo et s’accorde parfaitement à la vision caricaturale qu’avait Howard Hawks de ce type de musical. 

      

    Derrière donc une comédie pimpante et millimétrée, faite pour distraire, un second film se fait alors jour. Une œuvre au vrai potentiel satirique, propice à l’énonciation de vérités bien senties sur les relations hommes/femmes, mais qui ne vient jamais se situer en porte-à-faux avec l’ambition légère de départ.

      

      


    Une œuvre intelligente et enjouée - dans laquelle le cinéaste offre une nouvelle fois des rôles de femmes fortes et indépendantes à ses actrices - qui, si elle ne permet pas de révéler toutes les richesses d’un cinéaste américain majeur, se révèle néanmoins être un pur joyau, digne des plus grandes réussites de l’usine à rêves hollywoodienne.

     

     

    http://www.dvdclassik.com/critique/les-hommes-preferent-les-blondes-hawks

     

     

     GIF MARILYN MONROE

     

     

     

     

     

     

     

     

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    L'histoire

     

    En 1942, le brigadier Théo Dumas (Lino Ventura) et ses hommes, François Gensac (Maurice Biraud), Samuel Goldmann (Charles Aznavour) et Jean Ramirez (German Cobos) sont au cœur du conflit contre les armées allemandes en Afrique du Nord. Après une attaque aérienne, ils se retrouvent démunis de tout moyen de locomotion et tentent désespérément de survivre dans le désert. Ils finissent par tomber sur un campement allemand. Après une attaque surprise menée avec succès, ils font prisonnier le capitaine Ludwig Von Stegel (Hardy Krüger). Dans le respect des conventions de La Haye, les soldats français doivent cohabiter avec l’ennemi jusqu’à ce qu’ils puissent rejoindre leur base.

     

     

     

    Analyse et critique

     

    A bien des égards, Un Taxi pour Tobrouk est un film de scénariste, et surtout de dialoguiste. Plus qu’à Denys de La Patellière, le film doit en effet sa postérité à Michel Audiard qui collabore avec le cinéaste pour la cinquième fois. Pour une œuvre qui se concentre essentiellement sur les temps morts de la guerre, les dialogues se devaient d’avoir une saveur particulière, surtout avec des acteurs de la trempe de Lino Ventura et Charles Aznavour. Mais lorsque les répliques et la manière de raconter une histoire phagocytent la réalisation, le cinéma devient affaire d’écrivains et d’acteurs et non plus de metteurs en scène.

      

    De la sorte, Un Taxi pour Tobrouk se veut un film de guerre à la fois réaliste dans la peinture de ses caractères et tragi-comique dans la construction de ses situations vouées à dénoncer l’absurdité d’un tel conflit. Mais en délivrant de la manière la plus démonstrative possible un message anti-guerre, les auteurs dessinent en définitive une carte postale édulcorée de celle-ci.

     

     

      

      

    Un Taxi pour Tobrouk repose sur un scénario squelettique visant à l'efficacité. Après une esquisse rapide des protagonistes, le film est organisé de manière à ce que chaque péripétie serve à éprouver la solidarité entre les soldats, et ce jusqu’à la fin brutale. L’œuvre commence ainsi par une présentation des personnages : ceux-ci défilent les uns après les autres, tandis qu’une voix off les figent d’emblée dans les stéréotypes attendus. On retrouve le médecin juif, l’ancien boxeur bourru, la forte tête taciturne et l’intellectuel en mal d’aventures. Pendant tout le film, les dialogues vont dans le sens de ces stéréotypes : langage argotique et injures à répétition pour la plupart et ton professoral pour Maurice Biraud. Michel Audiard a même écrit les répliques de ce dernier afin de le mettre spécialement en valeur. La seule originalité de cet incipit classique réside dans le fait que l’Allemand soit le premier à entrer en scène.

      

    Il apparaît sous un jour fort sympathique, entouré de sa famille, le soir de Noël. Denys de la Patellière a voulu éviter tous les clichés anti-Allemands véhiculés par le cinéma depuis la Seconde Guerre mondiale, et même avant. Il a pris soin de filmer l’armée nazie à très grande distance, pour se concentrer exclusivement sur Ludwig Von Stegel. De la sorte, sa dénonciation de la guerre prend tout son sens. En effet, les armées sont faites d’individus qui se battent pour défendre leur patrie, mais dont les valeurs personnelles ne sont pas forcément en adéquation avec la barbarie de ceux qui les commandent.

      

      

    L’Allemand se révèle même mieux parler français que les Français eux-mêmes, preuve de leur proximité culturelle. A l’inverse, Michel Audiard, qui a souffert sous l’Occupation, n’a pas cherché à flatter le peuple français : en évoquant le père de François Gensac (Maurice Biraud), il effleure le sujet sensible de la collaboration et de Vichy.

     

     

     

      

    Histoire d’un naufrage dans le désert, Un Taxi pour Tobrouk demeure indissociable de son décor atypique. Le désert apparaît de prime abord comme un espace de division et de mésentente : après l’attaque de l’avion allemand, Charles Aznavour et Maurice Biraud, assis au premier plan, se résignent à ne pas bouger, tandis que Lino Ventura et German Cobos commencent à marcher pour tenter de se sortir de cette situation désespérée. Mais chaque moment de confrontation tourne vite court. Les auteurs ont désamorcé tous les mécanismes du huis clos, chers à Alfred Hitchcock dans Lifeboat, pour verser dans un registre comique consensuel.

      

    L’opposition entre Hardy Krüger et ses homologues français se révèle bon enfant. Michel Audiard a même pris le soin d’éviter d’utiliser le mot "nazi", préférant des termes plus joviaux comme "Fritz" ou "Bismarck". Le désert prend alors la forme d’un terrain de jeu d’enfants, surtout lorsque l’Allemand réussit à reprendre le pouvoir : il semble tenir entre ses mains une mitraillette en bois, tant ses intentions paraissent inoffensives.

      

      

    La séquence se clôt sur un pique-nique cordial dans le désert, au cours duquel les protagonistes plaisantent tout en s’interrogeant sur leur présence dans ce conflit. Denys de la Patellière a voulu délivrer une leçon antimilitariste simple avec des personnages simples, bien loin des considérations humanistes de La Grande illusion.

     

     

     

      

    Ainsi, le cinéaste n’exploite que faiblement toute la portée symbolique de son décor naturel qui fait pourtant l’originalité de cette œuvre. Il ne lui octroie que trois fonctions. La première est d’ordre pittoresque : comme bien des films d’aventure français des années cinquante, le désert confère à Un taxi pour Tobrouk une couleur exotique, renforcée par la superbe photographie de Marcel Grignon. La deuxième est d’ordre didactique : le manque d’eau est au cœur des rapports entre les Français et l’Allemand. Le fait de partager avec l’ennemi une denrée aussi précieuse est la marque d’un respect des règles dans un premier temps, puis d’une certaine solidarité dans un second temps.

      

    Enfin, le désert ajoute une dimension chrétienne un peu floue à cette histoire. « Les Anges dans nos campagnes », chant de Noël bien connu détourné ici en marche militaire, accompagne les protagonistes vers leur destin tragique de martyr. Pour les scénaristes, leur mort sert en effet à marteler un discours de paix entre les hommes de peuples différents. En même temps, l’absurdité de la guerre se manifeste également lorsque les Français mitraillent le campement allemand, détruisant la radio qui diffusait un extrait du Gloria de La Messe en Si mineur de Jean-Sébastien Bach, oasis de spiritualité germanique dans ce vaste océan de sable.

     

     

     

      

    Le désert est une surface lisse dénuée de toute civilisation. Ce lieu sans cesse déformé par le vent permet de faire table rase et reste le terrain idéal de la mise à nu des caractères. Denys de La Patellière a fait en sorte d'instaurer un rapport de proximité entre le spectateur et les soldats. La caméra se tient ainsi au plus près des protagonistes, alternant les plans moyens, cadrant l’ensemble du groupe et les plans rapprochés, s’arrêtant en détail sur chacun d’eux. Cependant, le scénario trop démonstratif et les dialogues qui ne donnent pas de réelle profondeur aux personnages empêchent d’explorer leur humanité.

      

    Le film dépasse rarement le stade de la joute verbale entre acteurs de renom. Plus que dans ses dialogues, c’est dans le moment de silence que Denys de La Patellière arrive à sublimer le parcours tragique de ses héros. Après qu'ils ont commencé à marcher, la fatigue les pousse à s’arrêter : au cours d’un beau plan-séquence, le bruit du vent assourdissant accompagne la chute de leurs corps dans le sable brûlant ; puis la caméra épouse le rythme lent des pas de Lino Ventura, avant de s’élever pour embrasser les quatre naufragés, debout et unis dans un destin commun. C’est également dans ses scènes d’action que le film se révèle efficace, notamment à la fin, lorsqu’ils traversent le champ de mines.

      

      

    Dans ce moment d’extrême tension, les protagonistes se découvrent sous leur jour le plus sincère : la comédie est finie, et la réalité de la guerre les rattrape. Sauvé par l’Allemand, Lino Ventura laisse échapper un simple « Merci », ce à quoi Hardy Krüger par « Non », signifiant la vanité des mots dans cette minute où la vie ne tient plus qu’à un fil.

     

     

     

      

    Si Michel Audiard parvient à recréer l’esprit de camaraderie propre à l’armée en mêlant le drame à la comédie, le film manque néanmoins de chair dans le traitement de son message contestataire. Certes, il contient son lot de scènes symboliques - le médecin juif soignant la main du capitaine nazi -, et de phrases marquantes. Mais les ressorts usés de ce genre de cinéma populaire français grincent bruyamment, car jamais les auteurs et les acteurs de cette œuvre ne nous font oublier qu’il s’agit de cinéma. Ce n’est pas le brigadier Théo Dumas qui mène ses hommes, mais Lino Ventura.

      

    Et ce ne sont pas les paroles de soldats de la Seconde Guerre mondiale que l’on entend, mais les répliques signées Michel Audiard. Plus qu’un témoignage sur la guerre, Un Taxi pour Tobrouk reste un document révélateur d’une certaine manière de faire du cinéma dans les années cinquante et soixante, et dont les schémas n’ont pas survécu à l’épreuve de la modernité.

     

    SOURCES

    http://www.dvdclassik.com/critique/un-taxi-pour-tobrouk-de-la-patelliere

     

     

     

     

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    Le Cave se Rebiffe
     
    Année : 1961
    Réalisateur :Gilles Grangier
    Scénario :Gilles Grangier, Michel Audiard d'après le roman d'Albert Simonin
    Adaptation : Michel Audiard, Gilles Grangier, Albert Simonin
    Les textes
    Les Photos
    Acteurs : Jean Gabin (Ferdinand Maréchal, dit le Dab) Martine Carol (Solange Mideau) Bernard Blier (Charles Lepicard) Françoise Rosay (Mme Pauline) Frank Villard (Eric Masson) Maurice Biraud (Robert Mideau) Ginette Leclerc (Léa Lepicard) Antoine Balpêtré (Lucas Malvoisin) Albert Dinan (Rémy) Clara Gansard (Georgette) Robert Dalban (Maffeux)
     
     
     
     


     

    Pour apprécier les vidéos cliquer sur le logo

     

    de RADIONOMY le fond musical sera supprimé

     
     
    Durée : 1h38 Résumé: Désireux de se lancer dans la fabrication de fausse monnaie, Eric Masson, un petit truand, Charles Lepicard, un ancien tenancier de maison close, et Lucas Malvoisin, un homme d'affaires véreux, font appel au talent de graveur de Robert Mideau, dont la femme, Solange, est la maîtresse d'Eric.
      
      

      
      
    Mais la petite bande comprend très rapidement qu'elle ne peut faire l'économie d'un homme d'expérience' et contacte bientôt pour superviser l'opération Ferdinand Maréchal, dit le Dab', un caïd rangé des voitures, qui s'est établi éleveur de chevaux à Caracas. D'abord réticent, celui-ci finit par accepter et retrouve Paris après quinze années d'absence. Filé par deux policiers, il les sème à l'hippodrome de Vincennes et se rend chez Lepicard, à qui il expose ses exigences...

     
     

      

     

      

     

    Le personnage de Max le Menteur disparaît dans l'adaptation cinématographique de l'œuvre de Simonin, mais la trame de cette histoire de faux-monnayeurs, et les personnages centraux du « Dabe » et du « Cave » restent identiques. Dans le film de Gilles Grangier, Charles Lepicard, Maître Lucas Malvoisin et Éric Masson veulent monter une affaire de « fausse mornifle ». Éric pense avoir « à sa pogne » un graveur hors pair, celui d'un certain Mandarès, Robert Mideau, le « Cave », c'est-à-dire dans le langage des truands, un être ordinaire, crédule et ignorant des pratiques et des codes du milieu.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mais l'affaire ne devient possible qu'avec le concours de Ferdinand Maréchal alias « Le Dabe », ancien faux-monnayeur de haute volée. Retiré sous les tropiques après une dernière affaire ratée, il reçoit la visite de Charles qui lui propose un dernier coup d'anthologie sur le Florin. Le Dabe accepte de s'occuper de l'affaire et revient à Paris. La fine équipe se met au travail. Sous la houlette du Dabe, Robert Mideau ne se montrera pas aussi « cave » que prévu…

     

     

     

     

    Fiche technique

     

     

     

     

      

     

    Distribution

     

     

     

     

      

     

    Autour du film

     

    • Le film fut colorisé en 1995.
    • Le film fut un succès public lors de sa sortie en salles, même s'il n'a pas remporté l'adhésion de certains critiques.
    • Deuxième collaboration entre Martine Carol et Gilles Grangier.
    • Nouvelle collaboration entre Jean Gabin et Gilles Grangier, un an après Les Vieux de la vieille.
    • Le film a été tourné :
      • À Paris
        • 8e arrondissement de Paris
        • 16e arrondissement de Paris
        • 20e arrondissement de Paris L'imprimerie des faux-monayeurs est au numéro 57 de la rue du Volga ; c'est aujourd'hui un salon de thé. L'appartement du graveur est au premier étage du numéro 83 de la rue des grands champs. La boutique de Mme Pauline (le personnage joué par Françoise Rosay) est à l'angle de la rue Saint Blaise et de la rue Vitruve, on aperçoit l'église de Saint Germain de Charonne au fond de la rue lorsque la vendeuse sort de la boutique.

     

      

     

     

      

     

      

     

     

    • La scène de la rencontre entre Jean Gabin et Bernard Blier censée se dérouler en Amérique du sud fut en réalité tournée en Normandie, Gabin n'ayant aucune envie de se déplacer à l'étranger. Habitant à Deauville, il fut plus que ravi de cette décision

     

    « Ça, c'est du BSA Extra piste » dit Gabin, dans un dialogue écrit par Michel Audiard. Gabin et Audiard étaient des habitués du Vélodrome d'Hiver, avant 1939, et avaient connu cette grande publicitéqui ornait la piste, vantant les mérites de roulements britanniques. Pour eux, c'était le summum dans l'excellence d'un produit.

     

    Critiques

     

    Pour le magazine Télé Loisirs, Le Cave se rebiffe est « l'un des meilleurs dialogues signés par Michel Audiard, au service de comédiens qui étaient de vieux complices. La bonne humeur qui a régné lors du tournage de ce film est très rapidement partagée par les spectateurs ».

     

     

     

     

     

    wikipedia

     

     

     

     
     
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    Premier rendez-vous (Henri Decoin, 1941)

      

     

     

      

      

      

      

      

      

      

    Une jeune fille s’échappe de son orphelinat pour rencontrer un homme contacté par annonces matrimoniales…

      

    Un des fleurons de la collaboration Decoin/Darrieux dans lequel la légèreté de ton n’altère pas la justesse de l’expression des sentiments. Ce grâce à une mise en scène précise et à d’exceptionnels comédiens: Danièle Darrieux, évidemment, dont on se fiche qu’elle soit un peu trop vieille pour son rôle tant elle est lumineuse mais aussi Fernand Ledoux qui est magnifique de tact et de sentiments étouffés.

     

     

     

     

    La noblesse de sa présentation au café est digne d’un héros de Leo McCarey. Les seconds rôles sont délicieux, notamment Tissier en prof de maths jouisseur. On regrettera cependant que ce film, parmi les premiers à être produit par la Continental, escamote dans sa deuxième partie ses enjeux dramatiques les plus originaux et les sous-entendus homosexuels par un maladroit retour à la convention.

     

     

    L’unanimisme final paraît quelque peu forcé. Premier rendez-vous n’en reste pas moins une comédie fraîche, joyeuse, pleine de chansons, de gaieté et sous-tendue par une tendre nostalgie. Bref, c’est un très bon divertissement.

     

     

     

    PREMIER RENDEZ-VOUS

     

     

     

     

     

    Comédie de 1941

     

     

     

    Réalisation et scénario de Henri DECOIN

     

    Adaptation et dialogue de Michel DURAN

     

    Directeur de la photographie Robert LEFEBVRE

     

    Musique de René SYLVIANO

     

    Chansons de Louis POTERAT

     

     

     

    avec

     

    Danielle DARRIEUX

     

    Fernand LEDOUX

     

    Jean TISSIER

     

    Sophie DESMARETS

     

    Suzanne DEHELLY

     

    Gabrielle DORZIAT

     

    Louis JOURDAN

     

    Jean PARÉDÈS

     

    Daniel GÉLIN

     

    Georges MARCHAL

     

    Annette POIVRE

     

    Françoise CHRISTOPHE

     

    Simone VALERE

     

    Jacques DACQMINE

     

    Paul FAIVRE

     

    Jacqueline GAUTIER

     

    Christian DUVALEIX

     

    Luce Fabiole

     

    Marcel Maupi

     

    Maurice Salabert

     

    Georgette Tissier

     

    Jacques CHARRON

     

    Robert ROLLIS

     

    Hélène BELLANGER

     

    Georges MAULOY

     

    Jacques DENOËL

     

    Maurice Marceau

     

    Jean NÉGRONI

     

    Serge Berry

     

    André REYBAZ

     

    Pierre Ringel

     

    Simone SYLVESTRE

     

    Georges Patrix

     

    Elisa RUIS

     

    Gilles QUÉANT

     

    Jacques-Henry DUVAL

     

    Henri de Livry

     

    Guy MARLY

     

    Claire MAFFEI

     

    Rosine LUGUET

     

    Renée Thorel

     

    Jacques Courtin

     

    Jane de Carol

     

    Raymonde La Fontan

     

     

     

      

     

     

     

      

      

    Résumé

    Micheline, jeune orpheline élevée à l'Assistance Publique, s'évade afin de se rendre à son premier rendez-vous fixé par un inconnu grâce à une petite annonce. Or, l'inconnu, Nicolas Rougemont, vieux professeur, comprend son erreur et, ne voulant pas décevoir Micheline, lui déclare être venu à la place d'un autre, empêché en dernière minute.

     

     

    Il ramène Micheline chez lui. Là, Micheline rencontre Pierre, jeune et beau garçon, dont elle tombe amoureuse. Mais l'Assistance Publique recherche la fugitive. Tout rentrera dans l'ordre grâce à une collecte effectuée dans le collège où travaille Nicolas qui ainsi pourra payer les sommes dues pour l'éducation de Micheline au dit établissement. Micheline épouse alors Pierre sous le regard attendri de Nicolas.

     

     

     

      

     

     

     

     

     

     

     

     

    sources

    SUPERBE BLOG CINEMA - http://films.nonutc.fr/

     

    et L'AUTORISATION du RESPONSABLE du BLOG - CINEMA FRANCAIS.

     

     

     

     

     

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    L'histoire

     

    Alors que la nuit tombe, un coup de feu retentit dans un immeuble de banlieue. François (Jean Gabin) vient de tuer Valentin (Jules Berry). Enfermé dans son appartement, il se souvient des circonstances qui l’ont mené à ce drame. Pendant ce temps, les forces de l’ordre s’organisent pour tenter de l’arrêter…

     
     
     
     
     
     
    Analyse et critique
     

    A la fin d’Hôtel du Nord, Pierre se tourne vers Renée et lui dit : "Le jour se lève, il va faire beau. Viens, maintenant c’est fini…".

    Certains verront dans ce dialogue une invention de Marcel Carné pour annoncer son prochain film. Mais si Pierre évoque Le Jour se lève, ce n’est qu’une coïncidence amusante. On pourrait parler de signe du destin ou de beau présage mais il n’en est rien : en 1938 le réalisateur de Drôle de drame n’a aucune idée précise de son avenir cinématographique.

      

      

      

    Cependant, une chose est sûre : son prochain film sera réalisé en partenariat avec ses deux amis, Jacques Prévert et Jean Gabin. Les trois hommes qui avaient donné naissance à Quai des brumes, s’étaient promis de retravailler ensemble. Libres de tout engagement, ils se réunissent en quête d’un scénario. Dans un premier temps, Gabin propose une adaptation d’un livre de Pierre René Wolf. Le roman, intitulé Martin Roumagnac (1), n’emballe ni Carné, ni Prévert qui décide de rédiger un scénario original.

      

      

      

    Le poète commence son travail d’écriture tandis que le réalisateur fait quelques repérages des décors susceptibles d’être utilisés pendant le tournage. Le temps passe, Carné et Gabin s’impatientent, et Prévert finit par leur avouer qu’il piétine et manque d’inspiration. Il faut donc repartir de zéro lorsque Jacques Viot frappe à la porte de Marcel Carné (son voisin de palier !!) pour lui proposer un scénario. Le réalisateur accepte de lire le script et le dévore avant de le proposer à ses deux comparses. Le trio d’artistes apprécie cette histoire urbaine d’amour triste et accepte le projet avec enthousiasme… Le Jour se lève est né !

     

     

    Screencap from Le Jour Se Leve

     

     



    Aujourd’hui l’intérêt que les historiens du cinéma portent à cette oeuvre repose essentiellement dans l’utilisation du flash-back. Pour beaucoup, Le Jour se lève est le premier film parlant utilisant ce procédé que Welles popularisera un an plus tard avec Citizen Kane. Cependant, ce quatrième long métrage de Marcel Carné cache bien d’autres trésors que nous allons décrire dans les chapitres suivants !

     

     

     

     

    Comme chacun le sait, le flash-back est le procédé qui consiste à revenir en arrière dans le récit. Aujourd’hui, de nombreux films utilisent cet artifice d’écriture : de Casino (Martin Scorsese) à Il était une fois en Amérique (Sergio Leone) en passant par Le Dernier empereur (Bernardo Bertolucci), la culture cinéphile est peuplée d’œuvres fonctionnant en flash-back. Mais jusqu’à la fin des années 30, la narration était fondée sur une sacro-sainte linéarité. Aller à l’encontre de cette règle était synonyme d’incompréhension pour le spectateur.

      

      

      

      

    Et si Carné s’est laissé tenter, il n’en a pas moins été inquiet : quelques heures avant la sortie de son film (le 17 juin 1939 au Madeleine Cinema à Paris) il se demandait encore si le public allait comprendre l’histoire. Partageant cette crainte, la production inséra avant chaque séance du film un carton expliquant le procédé ! Contrairement à certaines œuvres plus anciennes qui l’utilisent ponctuellement, le Jour se lève est essentiellement construit à l’aide de flash-back.

     

      

      

      

    D’un point de vue diégétique, la durée de l’action est relativement courte (quelques heures entre les deux coups de feu qui ouvrent et concluent le récit) mais pendant ce laps de temps François se terre dans son abri, fumant cigarette sur cigarette et pense à la série d’évènements qui l’ont conduit à cette situation. Il plonge à trois reprises dans ses souvenirs et nous permet de reconstituer les pièces du puzzle narratif imaginé par Jacques Viot.

     

     

     



    Néanmoins, si l’utilisation du procédé démontre l’audace du cinéma de Marcel Carné, il n’en altère pas pour autant son extraordinaire savoir-faire. En respectant scrupuleusement la règle des trois unités (lieu, temps diégétique et action), le cinéaste met en place un drame dont la progression captive le spectateur de bout en bout. Il démontre ainsi qu’en utilisant les règles fondatrices de la narration, il est toujours possible d’innover. N’est-ce pas là, l’empreinte d’un pur artiste ?

     

     

     

     

    Si Carné a su renouveler la grammaire cinématographique tout en faisant preuve de la plus grande maîtrise dans la mise en scène c’est aussi parce qu’il a su s’entourer de techniciens hors pairs. Après avoir collaboré avec Eugène Shufftan sur Quai des brumes, il confie l’éclairage de ce nouveau long métrage à Curt Courant. Comme Shufftan, le directeur photo d’origine allemande a appris son métier auprès des grands maîtres du cinéma d’outre Rhin tels Fritz Lang ou Max Ophuls.

     

    Dés les années 30, il fuit l’Allemagne nazie pour travailler en Europe. On lui doit notamment la photographie de La Bête humaine (Renoir, 1938), L’Homme qui en savait trop (Hitchcock, 1934) ou plus tard Monsieur Verdoux (Chaplin, 1947), autrement dit, du beau travail... Son approche expressionniste de l’éclairage est en parfaite adéquation avec le réalisme poétique du duo Prévert/Carné. Jouant sur les zones d’ombre et de lumière, sa technique concentre l’éclairage sur le sujet du récit et oriente la lecture du film. Du spectacle de chiens animé par Jules Berry où tout le cadre est éclairé (28’45) jusqu’à ces gros plans silencieux où seul un rayon de lumière dévoile le regard perdu de François (12’57), Courant réalise un travail en tous points admirable.

     

     

     

     

    Mais si la lumière de Courant allie beauté picturale et efficacité dramatique, les décors imaginés par l’indispensable Alexandre Trauner ne sont pas en reste. Pour mieux exprimer la solitude du héros, Trauner construit un immeuble moderne dressé au milieu d’une place de banlieue. Lorsque la police en fait le siège, François se terre au fond de son petit studio. Cette pièce rappelle l’appartement de CC Baxter que le décorateur créera quelques années plus tard dans La Garçonnière (Billy Wilder, 1960).

     

    On y trouve le même type d’objets et une décoration typiquement masculine. Quelques souvenirs et beaucoup de vide symbolisent la solitude du héros. Mais c’est certainement la hauteur du bâtiment qui surprend le plus dans Le Jour se lève : avec ses cinq étages, il domine largement les autres habitations et écrase le paysage de toute sa laideur. Trauner anticipe ainsi une urbanisation moderne tout en verticalité et sans le moindre charme qui viendra modifier les paysages d’après guerre et participer au mal de vivre des banlieues.

      

      

      

      

    Le studio de François, situé au dernier étage, évoque aussi l’isolement dont il est victime : éloigné de la rue, le héros est déshumanisé. Lorsqu’il est caché dans son refuge, Gabin tourne en rond et finit par hurler sa détresse à la foule de badauds : "François, François, y a plus de François … laissez-moi seul, tout seul, j’veux qu’on m’foute la paix". Ici la déshumanisation du protagoniste est évidente, sa volonté de vivre a disparu et la tragédie finale est annoncée.

     

     

     

     

    Dans une autre scène, François est à l’usine. Ce lieu où les hommes travaillent les uns à côté des autres n’en est pas pour autant un havre d’humanité : derrière leur masque, les ouvriers œuvrent dans la poussière et le bruit. Aucune communication n’est permise et lorsque la belle petite Françoise vient avec son bouquet de fleurs, il faut que François s’éloigne des machines pour se faire entendre. Après quelques minutes, le bouquet est fané et Gabin déclare avec ironie : "J’te l’avais dit, c’est tout ce qu’il y a de plus sain ici". Comme dans Les Temps modernes de Chaplin, le message est clair : l’usine et sa modernité n’apportent aucun progrès social, elle n’est qu’une machine qui broie les personnalités.

     

     

    Screencap from Le Jour Se Leve

     



    Enfin, on se souvient du couple de Quai des brumes obligé de se cacher derrière les baraquements pour s’aimer. On retrouve cette idée dans Le Jour se lève où Carné filme ses amoureux derrière des fenêtres et dans des endroits exigus. C’est dans la petite maison de Françoise ou dans la serre fleurie de son employeur qu’ils se déclarent leur amour. Nous sommes en 1939, l’Allemagne a déjà enclenché sa machine de guerre et toutes les formes de haine atteignent leur paroxysme. Pour Carné, l’amour n’a plus sa place dans la rue et Le Jour se lève se présente comme une œuvre d’anticipation poétique, triste et profondément bouleversante.

     

     

     

     

    Si les décors, la photo et le travail de toute l’équipe technique participent à l’ambiance désenchantée du Jour se lève il ne faut pas pour autant en oublier le travail de Prévert formidablement mis en valeur par des comédiens épatants.

    En adaptant le script de Jacques Viot, le poète fait une nouvelle fois preuve de son immense talent. Le film est moins bavard que Quai des brumes, mais il offre tout de même quelques dialogues remarquables. Ainsi lorsque Clara déclame "des souvenirs, des souvenirs, est-ce que j’ai une gueule à faire l’amour avec des souvenirs", Prévert rivalise avec Jeanson et son célèbre "atmosphère" offert à la même Arletty un an plutôt (Hôtel du Nord). Mais Prévert fait la différence et impose son empreinte grâce à la verve poétique qu’il insuffle à certaines séquences : le bouquet de fleurs fanées évoqué précédemment, les larmes d’Arletty derrière la fenêtre ou l’aveugle (2) qui passe son temps à poser des questions sont autant d’inventions participant au réalisme poétique du film.

     

     

     

     

     


    Pour porter cette ambiance, trois comédiens, désormais entrés au Panthéon du cinéma français, rivalisent de talent et délivrent des performances exceptionnelles. Il y a d’abord Gabin qui exprime avec le plus grand naturel une douceur teintée de violence. Il est ce personnage perdu dans sa passion amoureuse et ressemble à l’ours en peluche de sa bien aimée : "Vous voyez, il est comme vous, il a un œil gai et l’autre un tout petit peu triste" lui dit Françoise.

      

    Sans cesse au bord de l’explosion, il retient ses sentiments jusqu’à cette scène inoubliable où il hurle à sa fenêtre. Il faut avouer que ce magnifique coup de gueule reste un des plus grands monologues du cinéma. Gabin permet à François d’exprimer tout son mal-être et l’anecdote raconte qu’il eut beaucoup de mal à tourner cette séquence : selon certains témoins, l’interprète finit enfermé dans sa loge où il pleura à chaudes larmes. La puissance contenue, la douceur du sourire et le regard perdu, c’est tout Gabin ! Un comédien totalement habité par des rôles qu’il savait choisir à la perfection.

     

     

     

     

    A ses côtés, on retrouve Arletty qui avait connu la notoriété un an auparavant grâce à Hôtel du Nord. Dans http://www.dvdclassik.com/critique/les-enfants-du-paradis-carne, Carné et Prévert lui apportent une nouvelle dimension. Derrière la Parisienne à la réplique mitraillette, les spectateurs découvrent un puits d’amour et de tendresse.

      

    Cette interprétation lui ouvrira les portes d’autres rôles mémorables dont celui de Garance dans Les Enfants du paradis (1943).

     

     



    Enfin, comme tout grand film, http://www.dvdclassik.com/critique/les-enfants-du-paradis-carne met en scène un "méchant" absolument génial. En interprétant Valentin, Jules Berry crée un personnage ambigu. On ne connaît jamais ses ambitions ni son passé et il se dégage de ses attitudes, ses sourires et ses palabres une tension malsaine et destructrice. Il ment, écoute derrière les portes, manipule les plus faibles et Clara avoue qu’il torture les animaux !!! Sa performance satanique suffit à convaincre Carné qui lui proposera le rôle du diable quelques années plus tard dans Les Visiteurs du soir (1942).

     

     

     

     

    Cette conjugaison de talents tant techniques qu’artistiques offrira un beau succès critique au Jour se lève. Mais quelques mois après sa sortie, le gouvernement de Vichy interdit le film jugé trop démoralisant. Néanmoins, cette décision lâche et hypocrite ne l’empêchera pas de devenir un des plus grands classiques de notre patrimoine. En 1947, Anatole Litvak tente un remake hollywoodien avec Henry Fonda et Barbara Bel Geddes (The Long Night). Malheureusement la réussite n’est pas au rendez-vous. Malgré ses moyens, Litvak n’atteint jamais la puissance dramatique qui naquit des talents réunis de Carné, Prévert, Courant, Trauner, Gabin, Arletty et autre Berry … Les chefs d’œuvres du cinéma sont le fruit d’une alchimie qu’il est certainement impossible à reproduire, Le Jour se lève en fait évidemment partie. Chérissons-le !!


    (1) Finalement le film sera mis en scène par George Lacombe en 1946 avec Gabin.


    (2) Pour l’anecdote, on retrouve exactement cet aveugle en costume noir et lunettes rondes dans Le Roi et l’oiseau de Prévert et Grimault. C’est en quelque sorte la version animée du personnage du Jour se lève !!

     

     

     

     

    SOURCES

    http://www.dvdclassik.com/critique/le-jour-se-leve-carne

     

     

     

     

     

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